La grande lunette de l’Observatoire de Meudon recouvre la vue

Cent trente ans après sa mise en service, l’instrument, qui demeure le troisième plus grand au monde, a retrouvé, mercredi 29 novembre, ses deux lentilles démontées en 2004. Une opération à la fois délicate et spectaculaire, réussie grâce à un collectif de passionnés.

Par Pierre Barthélémy
Publié le 01 décembre 2023 à 14h46, modifié le 01 décembre 2023 à 15h46
Avant d’être remontées sur la grande lunette de l’Observatoire de Meudon (Hauts-de-Seine), le 29 novembre 2023, les lentilles ont dû passer à l’aide d’une grue par la fenêtre de la coupole. PIERRE BARTHÉLÉMY/« LE MONDE » 

Mercredi 29 novembre, une vieille dame de la science a recouvré la vue. Au terme d’une journée de manutention et de bricolage, la grande lunette de l’Observatoire de Meudon (Hauts-de-Seine) – lequel est intégré au sein de l’Observatoire de Paris-PSL (université Paris Sciences et lettres) – a récupéré ses yeux, ses deux lentilles qui avaient été démontées en 2004. Une opération réussie qui récompense les efforts d’un petit collectif de passionnés, astronomes, ingénieurs et techniciens de l’Observatoire.

L’affaire était délicate et ce groupe de travail a multiplié les précautions pour ne pas abîmer les imposantes lentilles de verre : la plus grande (83 centimètres de diamètre, plus de 200 kilogrammes) servait à l’observation, et l’autre (62 centimètres, presque 1 quintal), à la photographie. Stockés depuis près de deux décennies au rez-de-chaussée de la grande coupole de Meudon, ces deux objectifs ne pouvaient remonter à l’étage supérieur, où se situe la lunette, par la trappe d’origine, occultée par un faux plafond : ils ont dû emprunter la voie des airs, moins chère et plus sûre, afin de passer par la fenêtre, soulevés l’un après l’autre par le bras musclé d’une grue hydraulique.
Nettoyage de la lentille de 83 centimètres de diamètre avant son remontage sur la grande lunette de l’Observatoire de Meudon (Hauts-de-Seine), le 29 novembre 2023. PIERRE BARTHÉLÉMY/« LE MONDE »

Ce transfert a été assuré par une entreprise spécialisée dans le levage d’objets lourds et notamment de sculptures massives : « On leur a dit que c’étaient des objets d’art », glisse Miguel Montargès. Cheville ouvrière du groupe de travail sur la grande lunette et la coupole, cet astrophysicien ne cachait pas son inquiétude en voyant les lentilles se balancer au bout d’un palan : « Je tremble, mais je ne sais pas si c’est de froid… »

Haubans et contrepoids

Une fois sous la coupole, les lentilles ont été longuement et soigneusement nettoyées. Tout d’abord… au doigt mouillé. « Le doigt n’est pas vraiment au contact du verre à cause du film d’eau, précise Vincent Lapeyrere, ingénieur de recherche à l’Observatoire. La pulpe du doigt est très sensible, elle peut sentir les grains de poussière et les retirer sans rayer la lentille. » Ensuite seulement ont été passées éponges et lingettes imbibées d’alcool.

Enfin est venu le temps d’insérer les lentilles au bout de l’immense tube de 16 mètres qui constitue la lunette, basculée tête en bas pour l’occasion et maintenue par des haubans et des contrepoids. Avec une interrogation : le métal de ce tube a-t-il joué depuis 2004 ? Posée sur une table de levage, la plus grande des deux lentilles monte centimètre par centimètre et s’encastre sans problème aucun. L’affaire est plus compliquée pour la seconde : la table se grippe puis l’objectif entre de travers et se bloque. Il faut recommencer, venir à bout d’une vis récalcitrante puis retirer les contrepoids, et vérifier que la lunette est bien équilibrée.
Le tube de 16 mètres de la grande lunette de l’Observatoire de Meudon (Hauts-de-Seine) a dû être placé à la verticale pour le remontage de ses deux lentilles, le 29 novembre 2023. PIERRE BARTHÉLÉMY/« LE MONDE »

En fin d’après-midi, l’opération est achevée et l’instrument complet, cent trente ans après sa mise en service en 1893. Troisième plus grande lunette du monde (et la plus grande d’Europe), elle a notamment permis à Eugène Antoniadi (1870-1944) d’infirmer la théorie des canaux de Mars, popularisée au XIXe siècle par Camille Flammarion (1842-1925) et l’Américain Percival Lowell (1855-1916), deux astronomes convaincus que les Martiens avaient construit d’immenses canaux d’irrigation à la surface de leur planète. Antoniadi montra que les seules structures visibles sur Mars étaient de nature géologique.

De nouveaux moteurs attendus

La lunette a donc recouvré la vue au terme d’une campagne de remise en état qui aura coûté 35 000 euros, financés par le Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique. Mais pour quoi faire ? Observer, bien sûr, soutiennent les passionnés, en sachant que l’instrument, utilisé pour la dernière fois en 1991, est scientifiquement dépassé à l’heure des télescopes géants. Deux options sont envisageables : mettre la lunette à disposition des étudiants pour qu’ils apprennent à manipuler un instrument professionnel ou bien organiser des sessions d’observation pour le grand public.

Avant cela, plusieurs problèmes restent à régler, à commencer par celui de la coupole, dont l’ouverture est actuellement scellée pour des raisons d’étanchéité, et qui tourne difficilement. De nouveaux moteurs (déjà achetés) doivent aussi être installés sur la lunette. Enfin, le bâtiment que surplombe la coupole, qui n’est autre que le château royal de Meudon, n’est pas aux normes pour accueillir du public. Fabienne Casoli, présidente de l’Observatoire de Paris-PSL, reste donc prudente : « Cela nécessiterait des travaux très conséquents pour assurer l’accessibilité au public. Cela se chiffrera en millions d’euros, peut-être même au-delà de la dizaine de millions d’euros. »

L’astrophysicienne souligne que, sur le plan du budget et des ressources humaines, « il est un peu compliqué pour [leur structure] d’entretenir ce patrimoine tout en remplissant [ses] missions de recherche et d’enseignement. Mais les instruments anciens comme la grande lunette fascinent toutes sortes de publics à qui on peut ainsi parler de science moderne ».

En attendant, rêvons un peu et imaginons que l’outil historique reprenne ponctuellement du service dès 2024. Pour, par exemple, observer la belle occultation de Saturne par la Lune, qui aura lieu dans la nuit du 20 au 21 août.