Cinq amateurs découvrent l’un des plus gros rémanents de supernova

La nébuleuse des Néréides avait jusqu’ici échappé à tous les programmes d’observation du ciel. Elle est pourtant aussi large que 6 Pleines Lunes et son observation par un groupe de passionnés a permis de comprendre comment s’est formé ce rémanent de supernova atypique.

Un groupe d’astronomes amateurs vient de découvrir un rémanent de supernova, et cette histoire est assez incroyable. Car ce vestige d’une explosion stellaire est l’un des trois plus grands de la voûte céleste ! En effet, sa taille est comparable à celle des Dentelles du Cygne. Seule la nébuleuse des Voiles, dans l’hémisphère Sud, les surclasse.

Surnommée nébuleuse des Néréides par les découvreurs, SNR 107.5-5.2 est large comme 6 fois la Pleine Lune ! Son nom a été choisi en raison de l’aspect ondulé de ses nébulosités — les Néréides sont des nymphes marines symbolisant le mouvement de la mer. Le choix du nom fait aussi référence à la localisation de l’objet dans la constellation de Cassiopée, puisque ces mythologies s’entrecoupent. La nébuleuse des Néréides est donc circumpolaire depuis la France, c’est-à-dire qu’elle est visible à n’importe quel moment de la nuit et toute l’année. Toute la question est de savoir comment un tel objet a-t-il pu échapper aux astronomes jusqu’ici ?

Une découverte réalisée avec une petite lunette

« La découverte s’est faite depuis les Sierra Remote Observatories », explique l’astronome amateur américain Bray Falls. Il réalisait alors un panorama depuis la constellation de Céphée jusqu’à celle de Cassiopée avec une simple lunette de 106 mm. « Le panorama était constitué de quatre champs. Je l’ai partagé avec l’amateur allemand Marcel Drechsler [connu pour ses nombreuses découvertes de nébuleuses]. Il a étudié cette image attentivement. » Marcel Drechsler a identifié dans celle-ci plusieurs structures intéressantes, et l’une d’elles, tout au bord du champ, était ce rémanent de supernova.

 « J’ai compris tout de suite que c’était quelque chose d’intéressant, indique Marcel Drechsler. J’ai vu ces filaments détectés à travers le filtre oxygène et j’ai compris que cela pouvait être un reste de supernova. J’ai alors regardé les bases de données existantes, et j’ai été vraiment très surpris qu’elles ne montrent rien à cette position. Il y a eu tellement de relevés dans les ondes radio, qu’un tel objet aurait dû être découvert. C’est presque impossible que la science soit passée à côté d’un reste de supernova large de 3°. »

Équipe de choc pour une chasse au trésor

Dès lors, une chasse au trésor commence. Il y a un coup à faire dans la constellation de Cassiopée ! Découvrir un reste de supernova est rare, mais en plus, celui-ci est atypique puisque sa signature radio n’a pas été détectée. Alors, comme dans un bon film d’aventure, Bray Falls et Marcel Drechsler mettent sur pied une équipe de choc en recrutant trois autres amateurs pointus : les Français Yann Sainty, Nicolas Martino et Richard Galli. Dans ce genre d’aventure, les amateurs ont en général besoin d’un professionnel pour valider leur découverte. Ce sera Robert Fesen, spécialiste des supernovas et professeur de physique et d’astronomie au Dartmouth College (New Hampshire). Les voilà partis pour observer longtemps… très longtemps, afin de délimiter les contours de cette nébuleuse.

260 heures d’observation depuis trois continents !

Cette belle équipe d’observateurs a cumulé près de 260 h d’observation sur l’objet depuis trois continents (avec des sites en France, au Maroc et aux États-Unis) en utilisant tous une configuration semblable à celle de Bray Falls. « Ça m’a pris en tout plus de 50 h pour traiter ces données, estime Marcel Drechsler. C’est le projet le plus difficile, mais le plus satisfaisant que j’ai pu faire. Ça fait 25 ans que j’utilise Photosohp et j’ai dû faire appel à tout mon savoir-faire dans ce logiciel pour mener à bien ce traitement d’image. » Un travail considérable car, bien que très étendue, la nébuleuse des Néréides est d’un éclat extrêmement faible. Découvrir l’image finale a été un choc et un ravissement pour toute l’équipe. L’aspect sphérique et bien délimité ne laisse pas de doute sur l’origine de l’objet : c’est bien un reste de supernova.

Reste à savoir pourquoi il n'avait pas encore été découvert. « J’ai regardé beaucoup de photos prises par d’autres observateurs, et si vous ne savez pas que c’est là, vous ne le voyez pas, tellement c’est faible », souligne Marcel Drechsler. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, les astronomes professionnels ont relativement peu étudié le ciel à cette longueur d’onde. De grands relevés existent dans de nombreuses longueurs d’onde, mais celle-ci a jusqu’ici été laissée un peu de côté.

L’Univers visible est constitué en très grande majorité d’hydrogène. Les nébuleuses sont donc généralement riches de cet élément. Quand ce gaz est ionisé, il brille dans le rouge, c’est la fameuse raie H alpha intensément exploitée par les astronomes qu’ils soient amateurs ou professionnels. « Dans notre cas, la structure de la nébuleuse est essentiellement faite d’oxygène, dont on voit la raie d’émission verte OIII », observe Bray Falls. Pour être plus précis, une fois que les contours de la nébuleuse des Néréides sont délimités par les images prises avec le filtre oxygène, on constate certaines condensations sur ce fond rouge d’hydrogène omniprésent dans cette région. Mais il s’agit vraisemblablement de l’onde de choc de la nébuleuse sur le milieu ambiant plutôt que du gaz émis lors de l’explosion par l’étoile. « Ces nébuleuses composées essentiellement d’oxygène sont fortement associées aux étoiles massives », explique Bray Falls. 

Un type rare de supernova

Il est intéressant de noter que les amateurs font de plus en plus de découvertes de nébuleuses. C’est souvent lié à l’emploi du filtre OIII, leur favori avec le filtre hydrogène. Celui-ci est également prisé des professionnels. En revanche, il n’y a pas eu de grand relevé professionnel avec un filtre OIII. Il y a donc là une niche pour les amateurs.
« Si on voit ce reste de supernova uniquement avec le filtre OIII, ça tient au fait qu’il existe différents types de supernovas. La particularité de cette nébuleuse nous renseigne donc sur la façon dont elle s’est formée. Il existe principalement deux types de supernovas, le type I et le type II. Les supernovas de type II font de belles nébuleuses riches en hydrogène. » Les supernovas de type II et de type Ia sont relativement fréquentes. Au contraire, celles de type Ib sont assez rares. « Il s’agirait justement du type Ib dans notre cas. Ces explosions sont liées à l’effondrement du cœur d’une étoile, précise Bray Falls. Ces étoiles massives expulsent d’abord leurs couches externes avant d’exploser. On constate cela autour des étoiles de type Wolf-Rayet, elles produisent de belles nébuleuses d’hydrogène autour d’elles. À la fin, il ne reste que le cœur où se trouvent des éléments plus lourds que l’hydrogène. Dans ce cas, on observe in fine essentiellement la création d’une nébuleuse faite d’oxygène. »

Cette découverte est vraiment un joli coup, car beaucoup de supernovas connues ont été découvertes en radio. L’intérêt est de notamment pouvoir les débusquer même lorsqu’elles sont tapies derrière un nuage de poussière. Le ciel a été largement scanné par plusieurs programmes d’observation en radio, mais par un heureux hasard, cette zone est restée peu observée. « La fréquence particulière à laquelle cette nébuleuse émet des ondes radio n’a pas été couverte », notent les découvreurs.

L’étape suivante va consister à réaliser des spectres de l’objet. L’astronome Robert Fresen va piloter ce travail. Les spectres donneront notamment une idée de la distance et la vitesse d’expansion de la nébuleuse. Une fois ces paramètres connus, il sera possible de dater l’explosion. À titre de comparaison, les Dentelles du Cygne se sont formées il y a environ 10 000 ans. À cette époque, les Grecs n’avaient pas encore imaginé les Néréides. Mais c’est en tout cas un beau choix de nom pour un objet photogénique qui ne se montre qu’à ceux qui ont cru en son existence.